Condamner Aziz à la perpétuité. Par Pr ELY Mustapha

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Le jour où le procureur requit 20 ans de prison à l’encontre de Aziz, celui-ci était âgé de 66 ans 10 mois et 12 jours. Si le réquisitoire du ministre public est confirmé par un jugement et que Aziz consente à rester tranquillement dans sa cellule et si Dieu lui prête vie alors, il sortira de Prison à l’âge de 86 ans…un presque centenaire …

Or l’espérance de vie en Mauritanie est…de 62 ans pour les hommes. C’est autant dire que c’est une condamnation à la perpétuité mais qui ne dit pas son nom.

Toutefois, condamner Aziz a 20 ans de prison pour qu’il reste sagement dans sa cellule, c’est faire des plans sur la Comète. Car, d’ici-là, ou il se serait évadé ou il sera gracié. Il y a tellement de fêtes en Mauritanie, et l‘occasion ne manquera pas. Et ceux qui l’ont condamné ne resteront pas aussi longtemps à leurs postes. Mais personne ne voudrait alors qu’Aziz revienne au pouvoir…Alors ?

Gracié et exilé ou maintenu en résidence surveillée. Une forte probabilité, penche vers cette solution. Mais Aziz libéré mènera-t-il une vue austère vivant de pain sec et d’eau fraiche ? Un ascète repenti qui égrènera son chapelet à l’ombre des murs de son ranch confisqué vidé de ses animaux ?

Ghazouani sait très bien qu’Aziz, en liberté ne renoncera pas à faire entendre sa voix et choisira un retour dont on peut imaginer les voies et moyens.

En 20 ans Ghazouani aura tellement épuisé de mandats présidentiels, que la courtisanerie ne manquera pas de le pousser à briguer, que Aziz a bien des chances de revenir. Et il est certain que pour beaucoup de ceux qui l’ont trahi et qui trainent encore dans les instances du pouvoir, ce sera l’apocalypse.

Mais la question que l’on se pose aujourd’hui, c’est qu’apporte Ghazouani et qu’apportera Aziz à une Mauritanie qui se meurt et que les régimes militaires successifs ont condamné, non seulement à la pauvreté perpétuelle de son peuple mais aussi à une mort lente de ses institutions.

Qu’aura donc à perdre Ould AbdelAziz, si nourri en blanchi en prison, il revienne en 2043 ?

La Mauritanie, existera-t-elle d’ici-là ?

Lorsque l’on observe ces échauffourées politiques au sommet l’État par avidités de lobbies constitués pour le contrôle du pouvoir, l’on ne peut que se rendre compte que tout ce beau monde n’apportera rien à ce pays. Sinon des mois, des années de retard pour son développement.

Ces gens qui se chamaillent ont-ils pensé un instant que la Mauritanie se meurt de leur faute. Que dans quelques années au rythme du pillage dont elle est l’objet, du laisser-aller et de la mauvaise gestion, sinon l’absence de gestion tout court, la Mauritanie n’existera probablement plus. Qu’en l’absence d’une prise en main rapide de son économie à travers une stratégie de développement rigoureuse appuyée sur un plan économique et social et le pilotage d’un modèle de développement concerté, la Mauritanie va vers sa disparition.

Et ce n’est pas une vue de l’esprit.

En effet, la Mauritanie, ne sera certainement plus un pays viable dans une perspective maximum d’une cinquantaine d’années sinon bien avant. En voilà les raisons principales :

– les ressources naturelles actuellement exploitées (Fer, Pétrole et pêche) seront épuisées sinon réduite de façon draconienne. Or on sait que le revenu national du pays provient à 90 % de l’exploitation de ses ressources naturelles.

– Le pays est soumis à une désertification galopante, une déforestation et une réduction catastrophique de son espace arable. L’agriculture et l’élevage étant le pilier d’une économie locale de subsistance, fragile, ne sera plus que l’image d’elle-même dans les vingt prochaines années.

– Les villes côtières, saturées par un exode rural d’une population démultipliée, sont soumises au danger des inondations maritimes du fait du réchauffement climatique et de la pollution en perpétuelle croissance

. A l’orée de l’année 2043, la Mauritanie, aura épuisé ses ressources naturelles et son revenu national aura par là même disparu. Elle se trouvera en face d’une économie inexistante qui alimente ses circuits de biens et services importés qu’elle ne peut plus se permettre d’acquérir. Et ce sera le déclin d’un pays, comme tous ceux qui à travers l’histoire ont vécu dangereusement, dans la violence qu’ils se sont faits à aux mêmes ou qui ont sombré dans le vice.

Si la Mauritanie est condamnée à disparaitre c’est simplement parce qu’elle n’a pas préparé les moyens de son développement futur.

En effet, si l’on regarde actuellement les performances de l’économie mauritanienne, on se rend compte, qu’elles sont totalement erronées. Et voici pourquoi :

– La croissance affichée par les pouvoirs publics est fausse car elle ne correspond pas une croissance réelle engendrée par la valeur ajoutée des unités et des agents économiques à l’économie nationale. La croissance dont il s’agit est calculée sur la base de la rente nationale, issue justement des revenus des ressources naturelles. Le Produit intérieur brut, ne reflète pas les réalités de l’activité économique mais la croissance d’une rente nationale. C’est une croissance du sous-développement

– Le commerce mauritanien est tout orienté vers l’enrichissement personnel de quelques commerçants qui exportent leurs bénéfices et n’investissent pas dans le pays. C’est un commerce créateur de consommation, d’appauvrissement des citoyens et d’exportation de ses bénéfices

– La technologie nationale n’existe pas. La Mauritanie ne possède ni des laboratoires de recherche, ni un savoir-faire technologique exporté, elle vît entièrement de la dépendance technologique tant pour les biens que pour les services.

– L’inexistence d’un tissu industriel pouvant supporter la demande nationale, conquérir des marchés extérieurs et créer l’emploi. De ce point de vue la Mauritanie est complètement démunie et dépendante des industries étrangères à travers l’importation de leurs produits manufacturés.

Si cette situation se maintient, la Mauritanie se retrouvera dans les prochaines années avec une rente, provenant de ressources naturelles, totalement épuisée (y compris le gaz attirant actuellement toutes les convoitises) et elle n’aura pas développé de revenus permettant de prendre la relève :

– Pas de technologie exportable, pas de label, pas de marque industrielle ou commerciale conquérant les marchés internationaux.

– Pas d’industrie du savoir-faire performante couvrant les besoins des secteurs économiques du pays ;

– Pas de sociétés commerciales compétitives à l’échelle nationale et internationale pourvoyeuses de fonds pour le pays ;

– Pas de ressources humaines hautement qualifiées développant dans des laboratoires de recherches les produits de pointe, garantie de perpétuité d’une maîtrise technologique sous-tendant une économie forte.

Bref, cette Mauritanie orientée vers son futur, développant les moyens humains, technologiques, industriels et commerciaux de sa survie face aux défis mondiaux de demain ; pensant et repensant à l’échéance proche de l’épuisement de ses ressources naturelles et les optimisant dans leur collecte et leur utilisation pour préparer dans une stratégie de développement, un avenir meilleur, n’existe pas. Et on ne la verra peut-être jamais.

Du point de vue de la société, c’est encore une catastrophe.

Des communautés isolées qui se regarde en chiens de faïence qui, bien que sur un seul territoire ne vivent pas ensemble et cela jusque dans les quartiers des villes.

Un tribalisme que les régimes militaires successifs ont exacerbé au détriment de la citoyenneté et de l’allégeance à l’Etat. En somme des années de renforcement et d’encouragement d’une société féodale que les régimes utilisent de façon continue pour leurs intérêts, soit diviser, régner et entretenir la zizanie et la confusion dans les couches sociales et dans les esprits, et à terme pour de bas intérêts électoraux.

Enfin, une religion, entretenue par une poignée de prédicateurs, riches et sans scrupules, toute orientée vers le bigotisme et l’asservissement des pauvres qui s’y refugient par manque d’espoir et d’idéal.

Ainsi, ce que l’on voit, c’est un pays exsangue, au sommet duquel se battent des politiciens, des militaires qui règlent leurs comptes par juridictions interposées ; qui pensent que demain leur appartient. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que la Mauritanie, demain, à cause d’eux, risque d’être pire qu’aujourd’hui, sinon disparaitre à jamais, laissant la place à un désert stérile, dont les ressources seront épuisées, ses générations hypothéquées par l’endettement accumulé par des décennies de fraude et de pillage, et dont les dirigeants seront déjà loin, qui sous terre, ou qui se terrent avec leurs biens mal acquis …sous d’autres horizons.

Alors, qui a-t-on véritablement condamné à perpétuité …monsieur le procureur ?

Pr ELY Mustapha

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