Les putschistes qui ont renversé le président guinéen Alpha Condé se retrouvaient vendredi sous forte pression diplomatique, avec la venue d’une mission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la suspension du pays par l’Union africaine (UA).
La CEDEAO avait condamné le jour même le putsch mené dimanche par le chef des forces spéciales, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, contre M. Condé, 83 ans, vétéran de la politique ouest-africaine, exigeant sa libération et le retour à l’ordre constitutionnel dans ce pays pauvre, mais regorgeant de ressources minières, notamment de bauxite.
La délégation de la CEDEAO, composée de quatre ministres des Affaires étrangères et du président de la Commission de la CEDEAO, Jean-Claude Kassi Brou, est arrivée à Conakry à bord d’un avion de la République du Ghana, qui assure la présidence tournante de l’organisation régionale.
La ministre ghanéenne Shirley Ayorkor Botchwey, accompagnée, outre du président de la Commission, de ses homologues nigérian Geoffrey Onyeama, burkinabé Alpha Barry et togolais Robert Dussey, a d’abord rencontré pendant près de deux heures un représentant de la junte, le colonel Balla Samoura, selon une source diplomatique.
Après une interruption, les discussions ont repris peu après 14 h GMT, dans un grand hôtel de Conakry, cette fois en présence du lieutenant-colonel Doumbouya, a-t-on indiqué de mêmes sources.
L’arrivée de cette mission qui doit s’achever vendredi soir a coïncidé avec l’annonce par l’UA de la suspension de la Guinée de ses instances, comme l’avait déjà fait la CEDEAO mercredi lors d’un sommet par visioconférence.
Les dirigeants ouest-africains ont exigé le respect de l’intégrité physique du président Alpha Condé, sa libération immédiate et le retour immédiat à l’ordre constitutionnel. Aucune sanction économique n’a été évoquée.
L’ambassade américaine a apporté dans un communiqué vendredi son soutien à l’initiative de la CEDEAO, disant partager sa profonde inquiétude à la suite du putsch, en raison notamment de ses possibles conséquences sur la paix et la stabilité régionales.
Vers des sanctions ?
La CEDEAO se retrouve dans une situation comparable à celle qu’elle a connue lors d’un putsch similaire au Mali voisin en août 2020. Elle avait alors pris des sanctions essentiellement économiques et suspendu le pays de l’organisation.
Ces sanctions avaient été levées à la suite de l’engagement des militaires maliens sur la voie d’une transition de 18 mois maximum pour rendre le pouvoir à des dirigeants civils issus d’élections. Mais la CEDEAO a exprimé des inquiétudes croissantes sur le respect de ces échéances.
Comme au Mali, les militaires guinéens peuvent se prévaloir d’une certaine popularité, comme en attestent les manifestations de joie observées dans différents quartiers de Conakry, encore alimentée par la libération mardi d’un premier groupe de dizaines d’opposants au régime déchu.
Réunis au sein d’un Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), ils ont justifié leur coup de force par la nécessité de mettre fin à la gabegie financière ainsi qu’au piétinement des droits des citoyens.
Ils ont dissous le gouvernement et les institutions et aboli la Constitution qu’avait fait adopter M. Condé en 2020 et qui avait ensuite invoqué ce changement de loi fondamentale pour se représenter après deux mandats, malgré des mois de contestation réprimée dans le sang.
Les putschistes ont promis une concertation nationale en vue d’une transition politique confiée à un futur gouvernement d’union nationale, sans autre précision, notamment en termes de calendrier. Aucune information n’a été fournie sur Alpha Condé, sinon qu’il était en bonne santé et bien traité.
Aucun décès lié au putsch n’a été rapporté officiellement. Mais des médias guinéens ont fait état d’une dizaine à une vingtaine de morts dans les rangs de la garde présidentielle, des informations invérifiables faute d’accès aux hôpitaux.
Parmi ses dernières décisions, le CNRD a annoncé jeudi soir le gel temporaire des comptes bancaires des établissements publics à caractère administratif et commercial, ainsi que d’anciens membres du gouvernement, préalablement écartés au profit des secrétaires généraux de chaque ministère.
De leur côté, certains partisans de M. Condé laissaient percer leur amertume.
La Guinée s’est battue toujours pour la démocratie et la démocratie étant vraiment instaurée, en un seul jour les militaires sont venus vraiment mettre cette belle démocratie à terre, a déclaré à l’AFP Victor Léno, enseignant et membre de la jeunesse de l’ex-parti au pouvoir.
Un responsable du parti, Mahmoudou Traoré, a pour sa part, incité à la vigilance envers les putschistes, citant l’exemple d’autres pays. Selon lui, quand les militaires disent « nous venons pour un petit temps », ils vont faire plus de 5, 6 ou 7 ans au pouvoir.
Conakry Infos
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