Après plusieurs heures de voyage à travers le désert de l’Azawad, nous avons enfin rencontré Billal Ag Acherif, président du Front de Liberation de l’Azawad. Ce rendez-vous a eu lieu discret pour des raisons de sécurité.
À notre arrivée, nous avons trouvé Billal Ag Acherif en compagnie de ses hommes.
Il a accepté de nous accorder une interview exclusive, assis sur un tapis, entouré de ses gardes du corps. Après notre entretien, nous avons suivi Bilal, qui s’est rendu auprès de son équipe de sécurité pour les encourager et renforcer les mesures de sécurité en prévision des jours à venir. Cela intervient dans le contexte de la fusion des mouvements au sein du CSP-DPA, qui deviendra le Front de Libération de l’Azawad, avec Bilal Ag Acherif en tant que secrétaire général.
Réalisation : Souleymane Ag Anara.
Depuis la rébellion de 1990, vous êtes un témoin privilégié. Les rapports ont toujours été tendus entre les différentes composantes de la rébellion et les gouvernants maliens et entre vous et ces gouvernants. Quelles sont les revendications qui constituent des points de blocage et qui vous motivent à continuer le combat entre le peuple de l’Azawad et le gouvernement central du Mali ?
Bilal Ag Acherif : En premier lieu ce qui empêche la normalisation des relations entre l’État malien et le peuple de l’Azawad, c’est que cette « rébellion » n’a jamais été appréhendée dans son contexte. Les Azawadiens ne se sont jamais vus comme faisant partie intégrante du Mali, contrairement à ce qu’on fait croire à beaucoup d’observateurs.
Les Azawadiens n’ont jamais accepté d’être partie intégrante de l’État malien. Je parle bien sûr du leadership, des chefs de tribu et même de la structure confédérale que les colonisateurs français ont trouvé sur place quand ils ont envahi le pays.
L’entente à l’indépendance entre le Mali, le Sénégal et les leaders de l’Azawad était que les habitants de l’Azawad restent autonomes dans un ensemble où ils garderaient leur culture, leur spécificité et leur gestion interne. C’est sur cela que les leaders avaient donné leur accord. Une relation tripartite d’égal à égal entre le Mali, le Sénégal et l’Azawad. Mais tout cela a été jeté à la poubelle quand le pouvoir de Bamako a été mis en place, et dès qu’il s’est senti en position de force. La preuve pour étayer cela, c’est que le Mali est devenu indépendant en 1960 et 1963, la première rébellion a commencé. Avant même cela, le leadership de l’Azawad n’a pas été associé à la validation de l’entente sur l’entité fédérale (Sénégal-Mali-Azawad), nous avons tous en tête la lettre de 1957 signée par toutes les notabilités de l’Azawad dans laquelle elles demandaient à garder leur spécificité. Donc l’attelage Mali-Azawad ne s’est jamais fait sur des bases véridiques. C’est une fabrication de la France sans aucune base et sans aucune considération pour l’avis des autochtones. Il n’y a jamais eu d’échanges politiques entre Bamako et l’Azawad. Il y a eu des échanges commerciaux, des échanges culturels, mais il n’y a jamais eu d’échanges de gouvernance entre le Nord et le Sud dans leur histoire. Toutes les résolutions et tous les échanges entre les parties prenantes ou médiatrices qui sont survenues pour le règlement de ce conflit n’ont jamais tenu compte de cet aspect. Elles ont toujours mis l’accent sur les aspects économiques, sur les questions de chômage, faisant abstraction de la dimension politique qui est la charpente du problème. Donc cette abstraction fait que la lutte continue toujours parce que la solution réelle n’a jamais été mise au-devant des projecteurs. Cette lutte continue donc parce que ce peuple recherche son droit à l’autodétermination. Ce droit est reconnu par le droit international, l’Union Africaine et l’histoire mais tous les accords et toutes les médiations l’ont ignoré. Mais tant que ce droit n’a pas été pris en compte, cette lutte va continuer quel que soit l’accord concocté.
Depuis 1960 le gouvernement malien, n’a jamais fourni d’efforts pour le règlement de cette crise. Il a employé la force, le déplacement forcé vers l’extérieur, sans jamais songer à ramener les déplacés, au contraire la fuite vers l’extérieur a toujours été sa préférence. C’est évident pour les populations qui voient bien que le gouvernement de Bamako cultive la haine pour ce peuple, même si souvent il fait des déclarations d’apaisement. Dans l’esprit des gouvernants maliens, ce territoire est le
leur, certaines populations n’appartiennent pas au pays et il faut qu’elles en sortent. En faisant abstraction de l’attachement de ces populations à leur territoire dans lequel elles ont vécu avant l’existence des États modernes, avant la colonisation et avant les gouvernements successifs qui ont dirigé le pays. C’est ce qui complique le règlement de cette crise. Malheureusement, les résolutions du Conseil de Sécurité de 2012 et celles qui ont suivi ont pris le même chemin que toutes les autres tentatives qui les ont précédées en privilégiant la vision du gouvernement malien, et cela n’a fait qu’empirer la crise jusqu’à aujourd’hui.
Aujourd’hui pour qu’il y ait une solution satisfaisante pour le peuple de l’Azawad, qui ramène la paix dans le Mali et favorise le développement, la stabilité de la zone et sa sécurisation, il est impératif qu’une réponse soit trouvée à la revendication clé du peuple de l’Azawad. Tant que cet aspect est ignoré, la guerre continuera de plusieurs manières, en changeant toujours de nom pour un même objectif. Aujourd’hui, le Mali, comme ses voisins et tous leurs partenaires ont compris qu’on ne peut pas faire disparaître ce peuple qui a son identité, sa culture, son histoire, qui ne peut vivre dans un système qui n’est pas favorable aux deux parties. C’est une réalité qu’a toujours vécu mon peuple et dans laquelle je suis né. Les ennemis agissent de sorte que mon peuple vive dans cette réalité de combat. Une vie normale a été interdite à plusieurs générations successives. Moi et tous les autres y sommes nés. En 1990, j’y suis entré comme tous les enfants de cette époque, j’avais moins de 14 ans. Depuis, nous avons évolué sans discontinuer dans ce système révolutionnaire fait d’hostilités, de cessations d’hostilités, d’accords non appliqués, d’études des logiques révolutionnaires jusqu’à aujourd’hui.
L’objectif de la révolution maintenant, c’est d’assurer aux générations futures un avenir meilleur que celui dans lequel leurs prédécesseurs ont vécu et de leur garantir une vie qui les mette au même niveau que tous les autres citoyens du monde. Ceux qui dirigent la lutte aujourd’hui, ceux qui y participent, ceux qui l’entretiennent doivent avoir comme objectif d’arrêter définitivement le cycle « guerre, répression, exil ».
Notre vision pour l’Azawad :
l’Azawad a déjà des bases sur lesquelles il est bâti. Il existe, il a une écriture nationale, une culture de stabilité, une civilisation solidement ancrée depuis des millénaires. Nous ne bâtissons pas à partir de zéro. Que ce soit ceux qui y sont opposés ou ceux qui le reconnaissent, tous sont d’accord sur le fait que nous sommes une vieille civilisation. Si nous nous référons seulement à l’Azawad actuel, il y a eu la confédération Iwillimiden, le Tadamakkat dont les ruines sont toujours visibles, Tinbuktu qui a été fondée par les Azawadiens. C’est ce même peuple qui cherche aujourd’hui à réaliser l’affirmation de son identité sur son territoire, sur la base de son histoire. Quand le peuple de l’Azawad avait en main la gestion de son territoire, il constituait un trait d’union et d’échanges avec tout le reste de l’Afrique : l’Égypte, la Libye, le Nigeria. C’était un centre d’échanges commerciaux et culturels. Toute l’Afrique venait s’instruire à Tinbuktu. Elle était un centre d’éducation, de culture, de brassage de civilisation et de commerce. Aujourd’hui pour nous, ramener la sécurité, la stabilité et le vivre ensemble c’est revenir à cette situation d’antan. Que l’Azawad redevienne une zone de commerce, d’industrie basée sur les richesses locales, le contrôle de l’espace et sa gestion par ses autochtones, cela renforcera même la sécurité internationale. Le peuple de l’Azawad n’est pas nombreux mais son territoire renferme énormément de richesses. Il y a d’immenses quantités d’eau, de l’or, des zones agricoles, d’immenses possibilités pour l’énergie solaire en plus du pétrole et des autres richesses. Donc la stabilité définitive de l’Azawad, c’est d’abord la renaissance de son peuple, son bien- être et sa sécurité et ensuite contribuer à la sécurisation de son territoire et celle de la communauté internationale.
La vision des autres sur l’Azawad est basée sur la communication. L’État malien et tous ceux qui œuvrent de concert avec lui, luttent pour que les Azawadiens soient perçus comme des bandits, des rebelles. Nous ne nous reconnaissons pas dans le terme rebelles. Le terme rebelle s’applique à quelqu’un qui se révolte contre un régime dont il était membre. Or nous n’avons jamais fait partie du régime de Bamako. Aujourd’hui le Mali peut être considéré comme étant constitué de deux ou trois zones : le Sud, le Macina et l’Azawad. Ce sont ces trois zones que les Français ont mises ensemble pour faire le Mali. C’est une construction que les Azawadiens n’ont jamais acceptée. Donc nous n’avons jamais été des rebelles. Nous sommes une nation qui résiste contre une humiliation qui lui a été imposée. Actuellement c’est une révolution qui est en marche dans l’Azawad et non une rébellion. Cette révolution a plusieurs facettes : celle de l’identité, celle de la culture, celle de l’arrêt des agressions et beaucoup d’autres choses. Celui qui n’a pas pris la mesure du problème de l’Azawad ici à l’intérieur, il lui est difficile de le comprendre à travers la communication du gouvernement malien ou les résolutions des Nations Unies. Notre premier devoir est de faire comprendre notre lutte au maximum de gens. Et c’est pourquoi nous invitons tout le monde à venir ici, pour voir, écouter et comprendre les Azawadiens.
Notre engagement ne concerne pas que Kidal. Nous avons constaté que ce qui a le plus affecté nos capacités, c’était la multiplication des mouvements, des acteurs politiques intervenants sur le terrain. Aujourd’hui nous avons créé une structure politique et militaire unique : le Front de Libération de l’Azawad, dont le but est d’être un outil politique, économique de résistance et de reconquête de l’Azawad ordonné sous un seul commandement contrairement au passé, sans beaucoup de hiérarchie.
La mise en place du FLA est la première étape de notre nouvelle configuration avant d’engager la nouvelle conquête du territoire. Nous sommes dans l’Azawad, nous ne l’avons pas quitté. Nous avons été boutés hors de Kidal pas par l’armée malienne mais par les Russes, l’armée malienne n’existe plus. Les officiers qui dirigent à Bamako et ceux qu’ils ont envoyés sont venus par désir de vengeance de toutes les défaites qu’ils ont subi face aux combattants de l’Azawad en 2007, en 2012, en 2014. Pour atteindre cet objectif, ils sont allés à l’extérieur, chercher des étrangers pour se venger des Azawadiens. Mais cet acte a produit le résultat contraire qui prouve qu’ils ne sont pas qualifiés pour gérer l’Azawad. Ils ont ainsi démontré en face de la communauté internationale qu’ils ne peuvent pas gérer l’Azawad. Pour le garder dans leur giron, il faut que la MINUSMA et Serval ou les Russes les assistent. Ceci est une preuve que les autorités maliennes n’ont pas un ancrage solide dans l’Azawad. Ni culturel, ni économique, ni social, ni politique. Actuellement le Mali est sous la coupe de mercenaires internationaux, terroristes et criminels, car c’est ainsi qu’ils sont étiquetés par tous les gouvernements du monde. Ils l’ont prouvé par leurs actes, depuis qu’ils sont là, ils ne font qu’assassiner, empoisonner les points d’eau, piller les biens des citoyens, et l’armée malienne qui les accompagne fait de même. Donc aujourd’hui l’armée malienne n’existe pas. Il y a les activités criminelles de Wagner appuyées par les drones turcs. Avant c’était la désorganisation des Azawadiens qui constituait la force de l’armée malienne, à cause de la multiplicité des mouvements. Actuellement nous sommes très clair là-dessus, il n’est pas question que nos ennemis occupent et vivent sur notre territoire en dépit de ce que cela va nous coûter, c’est l’engagement sur lequel nous nous sommes entendus. Pour nous, Kidal n’est qu’une partie de l’Azawad, , il y a aussi Gao, Tinbuktu, Ménaka, Taoudenni, Douentza, c’est tout ça l’Azawad . Notre force est la détermination de notre peuple. Nous ne tenons aucun de ces lieux actuellement, mais Wagner est russe et un jour ou l’autre, il va partir. L’armée malienne à le Sud, elle peut s’y replier. Nous, nous n’avons qu’ici. Donc notre détermination est fondée sur le fait que nous n’avons nulle part où aller et notre droit d’y vivre est inaliénable, nous n’avons pas d’autre choix. C’est fort de cela que nous œuvrons pour le renforcement des capacités de l’armée de l’Azawad dans tous les domaines que ce soit la formation, l’organisation ou l’armement. Nous pensons que tous ceux qui soutiennent le droit, la liberté, ou la justice internationale doivent apporter leur assistance à l’Azawad dans sa lutte contre les terroristes de Wagner.
Les putschistes qui ont pris le pouvoir à Bamako ont imposé des humiliations même au peuple malien, à plus forte raison aux Azawadiens. Nous comptons sur Dieu et la détermination de notre peuple dans la continuité de notre lutte jusqu’à la libération de l’Azawad. Notre seul moyen financier, c’est la détermination de notre peuple. La révolution de l’Azawad n’a jamais bénéficié d’un soutien extérieur. De 1960 à nos jours, l’Azawad a lutté seul sans aucun apport extérieur. Et il a toujours remporté les victoires militaires, ensuite intervient la politique et la signature d’accords qui n’ont jamais été négociés par des médiateurs neutres, alors arrive l’émiettement des parties en raison de l’absence de conseillers et d’assistance juridique. Aujourd’hui la guerre se déroule au sol. Les guerres ne se gagnent plus par les airs. On peut fragiliser les troupes par des frappes aériennes ou de drones, mais les positions ne se prennent qu’au sol. Dans ce domaine, nous avons une confiance totale en nos hommes. La combativité des combattants de l’Azawad, leur capacité, leur engagement sont notre assurance pour la victoire. C’est vrai que ceux d’en face ont la supériorité aérienne assurée par les drones, nous allons voir comment y remédier tactiquement sur le terrain. Nous considérons que c’est notre territoire, dont nous maîtrisons le terrain, c’est là que nous sommes nés, c’est là où sont nés nos ancêtres et ceux qui les ont précédés, c’est là qu’ils ont mené toutes les batailles contre les différents agresseurs. Tous ceux qui sont venus en agresseurs, malgré la supériorité de leurs armements ont toujours été défaits. Nous sommes toujours dans la même logique.
Je l’ai précédemment dit, personne n’aide les Azawadiens dans leur combat. Nous avons le même combat que les Ukrainiens. Wagner y a maltraité les habitants, les a tués et y a commis des exactions, ensuite Wagner est venu reproduire les mêmes choses dans l’Azawad comme dans beaucoup d’autres zones du globe. L’ennemi de mon ennemi est mon ami. Donc notre souhait est que les Ukrainiens soient victorieux et libres de vivre sur leur territoire. Nous savons que les Ukrainiens éprouvent les mêmes sentiments envers nous. L’Ukraine a son propre combat, et nous avons le nôtre. Nous ne partageons pas la même géographie, ils ne peuvent pas nous aider, parce qu’ils subissent la pression de la guerre qui leur est imposée. Nous sommes confiants en nos capacités. Nous pensons que cet ennemi est à notre portée. L’aide que nous sollicitons de l’Ukraine est la même que celle sollicitée de l’Amérique, de l’Algérie, du Burkina Faso, du Sénégal, et de tous ceux qui reconnaissent qu’un tort nous a été porté, Wagner est constitué de criminels. Mais nous ne comptons que sur la capacité de l’armée de l’Azawad et la détermination de son peuple.
Nous n’avons jamais reçu de soutien financier de l’Ukraine. Nous avons été très clair, nous n’avons pas besoin du soutien de l’Ukraine. Notre relation avec l’Ukraine est une relation de connaissance, de coopération, de communication, mais l’Ukraine a ses propres problèmes que nous connaissons et que nous comprenons. Nous pensons que ce qui nous lie à l’Ukraine est plus important que toute aide et c’est très fort puisque que nous avons un ennemi commun qui nous impose une lutte commune.
Le but de la fusion est l’union de tous les mouvements de l’Azawad, de tous les cadres, notables ainsi que tous ceux qui hésitaient à s’engager, ceux qui ne voulaient pas se décider ou prendre position en raison de la multiplication des mouvements. Aujourd’hui, tous les mouvements qui étaient au sein du CSP, la CMA, la Plateforme et toutes leurs composantes ainsi que toutes les personnalités de l’Azawad et les communautés ont pris la décision de fusionner en une seule entité politique, le FLA, qui est censée conduire la lutte du peuple de l’Azawad. Qu’elle organise la politique extérieure d’une seule voix, et que le combat intérieur soit mené par une seule armée. Qu’elle oriente le peuple de l’Azawad pour une lutte intérieure commune dans l’unité. Et que les Azawadiens aient un seul partenaire en ce qui concerne la politique azawadienne. Je parle des mouvements qui ont des revendications politiques dans le cadre de l’auto-détermination du peuple de l’Azawad. C’est cela notre objectif, la raison de notre lutte et de notre fusion.
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