Un projet phare de l’Agence française de développement (AFD), destiné à fournir de l’eau potable à 155 000 habitants dans le sud mauritanien, s’est transformé en un échec coûteux, selon une enquête d’Off Investigation menée sur place et auprès de sources locales. Financé à hauteur de 22,3 millions d’euros par l’AFD et 4,7 millions par l’Union européenne, ce programme, achevé en 2020, n’aurait fonctionné que trois jours avant de tomber en panne, laissant des milliers de personnes sans accès durable à l’eau.
Contexte : une région en crise
La zone ciblée, l’Aftout-el-Chargui, est l’une des plus pauvres du pays. Les populations afro-mauritaniennes y subissent des discriminations systémiques, dénoncées par des organisations locales. Un membre du parti d’opposition de Biram Dah Abeid, figure anti-esclavagiste, décrit à Off Investigation un « apartheid » étatique, soulignant que les Beidanes (« Maures blancs »), qui dominent le pouvoir depuis des décennies, marginaliseraient les communautés noires.
Le président Mohamed Ould Ghazouani, réélu en juin 2024 dans un contexte de tensions (des manifestations à Kaédi ont fait quatre morts, selon des témoignages recueillis par des ONG locales), reste un partenaire clé de la France dans la lutte antiterroriste. Paris a ainsi alloué 350 millions d’euros à la Mauritanie via l’AFD sur dix ans.
Un projet « éléphant blanc »
Bien que des infrastructures (réservoirs, châteaux d’eau) aient été construites, l’eau du lac de Foum Gleita n’atteint pas les villages. « Le robinet a marché trois jours. Depuis trois ans, plus une goutte », témoigne une habitante sous couvert d’anonymat, évoquant des conditions de vie « insoutenables ».
L’ONG Transparence Inclusive, accuse des détournements. « Les fonds ont surtout profité à des intermédiaires proches du pouvoir », affirme un rapport interne de l’ONG consulté par Off Investigation. L’AFD, contactée par nos soins, assure avoir « lancé un audit », sans fournir de détails.
L’aide au développement, outil géopolitique
Des experts interrogés pointent une logique diplomatique. « La France utilise l’aide pour maintenir son influence, surtout dans les pays qui résistent à l’expansion russe », analyse un chercheur spécialiste du Sahel, sous couvert d’anonymat. La Mauritanie, épargnée par les attaques jihadistes depuis 2011, reste un allié précieux, malgré les critiques sur ses pratiques internes.
Alors que les annulations de dette et les promesses se multiplient, les habitants de l’Aftout-el-Chargui continuent de s’approvisionner à des puits insalubres. Preuve, selon Transparence Inclusive, que « l’urgence humanitaire sert trop souvent des intérêts obscurs ».