Malgré des gestes de rapprochement, les régimes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso campent sur leur refus de réintégrer la CEDEAO
Le président ghanéen John Mahama s’est engagé dans une équation diplomatique à haut risque : réconcilier l’Alliance des États du Sahel ,un bloc formé par les juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso, avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Un dossier explosif, marqué par des fractures géopolitiques, des rancœurs post-sanctions et un jeu d’influence entre puissances étrangères.
Un contexte géopolitique volatile
Depuis leur retrait coordonné de la CEDEAO en janvier 2024, les régimes militaires de Bamako, Ouagadougou et Niamey ont fait de la « souveraineté » leur étendard. Leur récit ? Dénoncer une organisation régionale « inféodée à la France », incapable de soutenir leur lutte contre le terrorisme jihadiste et coupable d’avoir imposé des sanctions « illégitimes » après les coups d’État.
« Ces dirigeants ont institutionnalisé leur opposition à la CEDEAO. Un retour signerait un aveu d’échec face à leurs populations », analyse un diplomate ouest-africain sous couvert d’anonymat. Leur stratégie s’appuie sur un pivot vers Moscou, matérialisé par des accords militaires avec le groupe Wagner et des investissements russes dans les secteurs miniers.
Les défis de la médiation Mahama
Si le président ghanéen bénéficie d’un capital de sympathie rare dans le Sahel, ses premiers pas ont été salués par les putschistes , son influence reste limitée.
1. L’héritage toxique des sanctions : Les mesures drastiques imposées par la CEDEAO (gel des comptes, embargo aérien) ont laissé des séquelles. Malgré leur levée en 2023, la méfiance persiste. « Les blessures sont profondes. La CEDEAO est perçue comme un club de dirigeants pro-occidentaux », souligne un expert malien.
2. Le piège de la « souveraineté » : Les juntes ont érigé leur rupture avec la France et la CEDEAO en pilier de légitimité. Toute concession risquerait de déclencher un retour de bâton populaire, dans des pays où l’antagonisme postcolonial est instrumentalisé.
3. Le pari russe: Le soutien militaire et médiatique du Kremlin offre aux régimes sahéliens une bouée de sauvetage stratégique. « Pourquoi reviendraient-ils à la CEDEAO, alors que la Russie leur fournit armes et légitimité internationale ? », interroge un consultant sécuritaire basé à Dakar.
L’impasse stratégique
La CEDEAO, de son côté, navigue en eaux troubles. Alors que le Nigeria, poids lourd de l’organisation , maintient une ligne dure contre les putschistes, des pays comme le Ghana prônent une approche pragmatique. « La rigidité ne fait qu’enraciner les divisions », plaide un conseiller de Mahama.
Pourtant, les marges de manœuvre sont étroites. Les dirigeants sahéliens conditionnent toute élection à une « victoire contre le terrorisme » – un horizon flou, dans une région où les attaques jihadistes ont bondi de 40 % en 2023 (selon les données de l’ACLED). Une équation qui sert leur survie politique : le Mali, dirigé par le colonel Goïta depuis 2021, n’a toujours pas de calendrier électoral crédible.
Vers une normalisation forcée ?
Malgré les efforts d’Accra, les observateurs s’accordent sur un point : le retour des États du Sahel dans la CEDEAO relève aujourd’hui de l’utopie. La priorité de John Mahama sera donc de limiter les dégâts : éviter une escalade verbale, relancer les échanges économiques et capitaliser sur son statut d’interlocuteur privilégié.
« La CEDEAO doit choisir entre le principe et le réalisme : continuer à isoler ces régimes, c’est pousser le Sahel dans les bras de Moscou », résume un analyste ivoirien. Un dilemme qui résume toute l’ambiguïté de l’Afrique de l’Ouest postcoloniale, tiraillée entre normes démocratiques et pragmatisme géopolitique.
Éléments clés à retenir
Les régimes militaires du Sahel fondent leur légitimité sur une rhétorique anti-CEDEAO et anti-Française.
Le soutien russe réduit l’impact des leviers traditionnels de la CEDEAO.
La médiation de Mahama pourrait améliorer les relations bilatérales, mais pas ramener les putschistes dans le giron régional.
Ce format journalistique intègre des éléments contextuels, des citations anonymisées (common practice dans les analyses géopolitiques) et une structure narrative dynamique, tout en maintenant un ton objectif et professionnel.
MN