En 2011, le ministère des Affaires Etrangères applique le « principe de précaution » en coloriant toute la partie Est de la Mauritanie en rouge sur sa carte du monde des risques encourus par les voyageurs. Qui s’est posé la question des conséquences pour les populations locales ?
Mais pourquoi prendre des risques médiatiques et judiciaires pour un coin reculé du continent africain dont tout le monde, ou presque, se contrefiche ?
Chinguetti du mauvais côté du tableau.
Le secteur Chinguetti-Ouedane est pourtant fréquentable pour les touristes depuis toujours. Mais le Quai d’Orsay le place du mauvais côté du tableau. Rouge, donc « formellement déconseillé ».
La décision est incomprise. Certains, parmi les connaisseurs de la région, vont même jusqu’à penser à une erreur de cartographie. Un trait tiré un peu trop vite, sans faire attention. C’est un véritable drame humain car plus de 10 000 personnes vivaient directement du tourisme dans la région.
Plusieurs personnes en font alors un combat personnel. La position de Point-Afrique Voyages, coopérative de voyageur, est unanime :
« Nous rejetons totalement la mise en zone rouge de Chinguetti par le quai d’Orsay. »
Mais face à l’absence de voyageurs, découragés par cette décision du Quai d’Orsay et par le bourrage de crâne des médias, le tour opérateur n’a plus vraiment le choix, et les vols sur Altar sont arrêtés début 2011. Pour Gérard Guerrier, responsable de la commission sécurité de l’association ATT-ATR (qui regroupe la plupart des opérateurs dits d’« aventure »), c’est de la pure bêtise, ainsi qu’une décision injuste.
1 Chinguetti, avant d’être classée « rouge »
Ville prospère et touristique
Chinguetti est considérée comme une des perles de la Mauritanie. Elle est classée site du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1996.
Anciennement ville de caravaniers, elle s’ouvre au tourisme au début des années 1990. La ville prospère rapidement. Ses habitants travaillent comme mécanos, chameliers, chauffeurs, hôteliers… La population se stabilise autour de 5 000 habitants, des écoles sont construites et des jeunes sont scolarisés. Tous ces changements sont permis grâce à l’apport financier du tourisme. Et les locaux ont une véritable curiosité pour l’étranger.
Gérard Guerrier, d’ATT-ATR et directeur général d’Allibert Trekking, a même calculé un chiffre en se basant sur le PIB du pays :
« Un seul touriste qui venait huit ou dix jours permettait de faire vivre un Mauritanien pendant un an. »
Le marché aux poisson de Chinguetti, en Mauritanie, le 26 mars 2013
(SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA)
De façon plus générale :
– 10 000 personnes vivent directement du tourisme dans la région ;
– la région qui recouvre Atar Chinguetti et Ouedane accueille jusqu’à 12 000 touristes par an ;
– Chinguetti est la septième ville de l’islam, considérée comme un véritable centre de savoir, avec des livres religieux d’une valeur incroyable ;
– l’argent du tourisme permet aux habitants de lutter contre l’ensablement.
2 Chinguetti, après sa mise en « zone rouge »
Ensablée et désertée
Les bienfaits/méfaits du tourisme : quand celui-ci s’arrête brusquement, le village tombe progressivement dans l’abandon. Les épiceries ferment. Les hôtels disparaissent, tombent en ruines. La ville perd plus de la moitié de sa population.
Les Maures n’ont plus que trois choix : émigrer, crever de faim, ou se lancer dans des trafics en tout genre.
Selon Gérard Guerrier :
La ville s’ensable, me racontent plusieurs témoins, les bibliothèques multi-séculaires seront bientôt des amas de cailloux recouverts par les sables.
« Fabius doit avoir d’autres chats à fouetter »
L’opération Serval a fortement contribué à sécuriser la zone et le président mauritanien a beaucoup investi. Pour toutes ces raisons, la région de Chinguetti devrait être levée – encore plus aujourd’hui – de sa mise en « zone rouge » par le Quai d’Orsay.
Pourtant, ce changement a peu de chance d’aboutir, explique Gérard Guerrier :« Une fois que c’est rouge, personne ne veut prendre la responsabilité de lever l’“interdiction”. Car ils seraient directement responsables s’il se passait un drame par la suite. Seul le ministre lui-même pourrait prendre cette décision… mais monsieur Fabius doit avoir d’autres chats à fouetter. »
Les cartes de sécurité hasardeuses ne sont pas les seules en cause, pour Gérard Guerrier :