La première édition du Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique qui a ouvert ses portes hier, dans la capitale sénégalaise, connaît un succès d’affluence et de prestige, avec plus de 350 participants dont des officiels souvent de haut niveau venus d’une quarantaine de pays. Organisée à l’initiative de la France et du Sénégal, cette rencontre a pour ambition de devenir un rendez-vous annuel et de contribuer à la « création d’une culture de sécurité en Afrique ».
« Je déclare ouvert le Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique », c’est par ces mots que le Premier ministre sénégalais Mahammed Dionne a inauguré le lundi 15 décembre, dans la salle des conférences du Hôtel King Fahd de Dakar, la première rencontre internationale autour des questions de sécurisation du continent.
Les mots de bienvenue du Premier ministre ont été précédés par des propos liminaires prononcés tour à tour par Smaïl Chergui, commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Union africaine et Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense. Si le nombre d’intervenants à cette séance inaugurale a été limité à trois, c’est sans doute pour une raison pratique, celle de permettre aux participants d’entrer rapidement dans le vif des débats. Pour le symbole aussi, car alors que le Premier ministre Dionne représentait le pays hôte à la cérémonie d’ouverture, la présence à la tribune des deux autres orateurs rappelait avec intelligence que si la sécurité en Afrique était une question avant tout africaine, revendication dont l’Union africaine s’est faite un défenseur acharné, elle concerne aussi les acteurs extérieurs compte tenu de l’inscription de l’Afrique aujourd’hui dans la globalisation.
Enfin, le choix de donner la parole en premier à Smaïl Chergui de l’organisation pan-africaine n’était peut-être pas complètement innocent. La presse sénégalaise s’est faite l’interprète ces derniers jours de rumeurs selon lesquelles l’Union africaine ne voulait pas de ce Forum, estimant qu’il empiétait sur ses prérogatives. Il a fallu tout le talent des organisateurs franco-sénégalais pour convaincre les décideurs de l’UA de l’aspect informel et intellectuel de la rencontre dakaroise.
« Il n’a jamais été question pour nous de faire de ce forum un substitut au travail que fait l’UA dans ce domaine, mais nous voulions tout simplement promouvoir le dialogue en mettant autour de la table tous les « stakeholders », les chercheurs, les journalistes, les entrepreneurs, les représentants des ONGs qui ne se rencontreraient pas en circonstances normales », explique Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, un think tank parisien qui a collaboré avec l’Institut panafricain de stratégies (IPS) que dirige l’ancien ministre des affaires étrangères du Sénégal Cheikh Tidiane Gadio, pour concrétiser l’initiative. En invitant l’UA à prendre la parole dès la séance d’ouverture, les organisateurs ont désamorcé la tension.
Affluence et intérêt
Annoncé lors du Sommet de l’Elysée des 6 et 7 décembre 2013, le Forum de Dakar qui se déroule, lui aussi, sur deux jours (les 15 et 16 décembre 2014), a été conçu avant tout comme un espace international autour des questions de la paix et de la sécurité en Afrique. Il s’inspire des enceintes similaires qui existent sur d’autres continents telles que Manama au Bahreïn (Moyen-Orient), Shangri-la Dialogues à Singapour (Asie), Conférence de Munich (Europe) ou Conférence internationale sur la sécurité d’Halifax au Canada (Amérique). Tout comme ses modèles, le Forum de Dakar aspire à être pérenne.
Une aspiration qui a toutes les chances d’être comblée compte tenu de l’extraordinaire intérêt que cette première édition semble avoir suscité, avec plus de 350 participants à une rencontre aux thématiques aussi ardues et spécialisées que « lutte contre le terrorisme et prévention de la radicalisation », « sûreté et sécurité maritime », « quelle réponse aux crises sanitaires », « territoires et frontières », « la menace des trafics : dissémination des armes et criminalité organisée ».
Les cinq ateliers, où ces sujets ont été débattus le premier jour, ont fait salle comble. Les participants, issus autant de la société civile que des gouvernements, ont pris la parole librement, interrogeant, interpelant les intervenants spécialisés ou complétant les propos de ces derniers par des récits d’expériences vécues. Les ateliers prévus pour la deuxième journée promettent de connaître la même affluence et intérêt.
Les nouveaux enjeux sécuritaires
Plus solennelles, les séances plénières qui se sont déroulées dans la première partie de la journée ont vu des intervenants officiels et gouvernementaux rappeler le contexte stratégique et les principaux axes de réflexion : l’aggravation des menaces souvent transnationales pesant sur le continent, la nécessaire appropriation par les Africains des questions sécuritaires en Afrique et, enfin, le soutien en matériels et en hommes que la communauté internationale peut apporter ou apporte effectivement pour aider les Africains à faire face aux menaces, notamment terroristes, qui pèsent sur leur pays ou sur leur continent. Issue de trois principaux foyers (zone sahélo-saharienne, nord du Nigeria et Somalie), la menace terroriste touche désormais un nombre important de pays africains.
Face à ces nouvelles conflictualités, les Africains eux-mêmes jouent un rôle de plus en plus affirmé, en renforçant leurs dispositifs politiques et militaires tant au niveau régional qu’au niveau du continent. L’Algérien Smaïl Chergui, patron du puissant département de la paix et de la sécurité de l’Union africaine, a rappelé la création en 2013 par son organisation de la Capacité africaine de réaction immédiate aux crises (CARIC), reposant sur le principe de volontariat d’Etats, en attendant le lancement de la Force africaine en attente. Certes, la mise en place tarde à se faire, mais le concept existe.
La communauté internationale, tant au niveau des Etats (France, Etats-Unis) qu’au niveau communautaire, est, elle aussi, largement mobilisée et engagée dans la lutte contre le terrorisme. Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian, qui a pesé de tout son poids pour que le Forum de Dakar puisse se réaliser, a brossé rapidement le bilan des deux opérations militaires lancées dans l’urgence par son pays pour stopper la dégradation brutale des situations sécuritaire du Mali (opération Serval en janvier 2013) puis de la République centrafricaine (opération Sangaris en décembre 2013). D’où la nécessité impérieuse, a-t-il insisté, de disposer d’un outil comme le Forum de Dakar qui permet de gérer et anticiper les crises.
Les participants au Forum ont été aussi sensibles aux interventions de la sous-secrétaire adjointe à la Défense des Etats-Unis Amanda Dory qui a évoqué « la présence américaine, très articulée, avec la France » dans la zone sahélienne. Quant au Chinois Zhong Jianhua, envoyé spécial de son pays pour l’Afrique, il s’est attardé sur la nécessité d’aligner la « vision commune des menaces terroristes » sur la position des Africains qui sont en première ligne.
Prenant la parole lors de la première séance plénière, le Secrétaire général adjoint en charge du département des opérations de maintien de la paix, aux Nations unies, a pour sa part, rappelé que sur les 16 opérations de maintien de la paix de l’Onu en cours, 9 sont déployées en Afrique, soit 110 000 hommes sur un total de 125 000 casques bleus. C’est un effort considérable de la communauté internationale dont le coût annuel s’élève à quelque 5 milliards sur un budget total annuel de 7 milliards de dollars.
Ces différentes contributions plénières ont servi de cadre aux débats publics en atelier qui vont se poursuivre dans la matinée du 16 décembre. Les ateliers, de nouveau au nombre de 5, porteront sur « solutions africaines », « Nations unies/Union africaine : quelles synergies ? », « financements et pérennisation des efforts militaires de réponse aux crises » , « réponses militaires, réponses civiles aux crises », « environnement sécuritaire et développement économique ». C’est le président Macky Sall en personne qui viendra clôturer les débats dans l’après-midi, entouré de ses pairs Ibrahim Boubacar Keïta (Mali), Idriss Déby (Tchad), Mohammed Ould Abdel Aziz (Mauritanie), Olusegun Obasanjo (ex-président du Nigeria), Jean-Yves Le Drian (ministre de la Défense français), Peter Maurer (président de la Croix-Rouge) et Cheikh Tidiane Gadio (ex-ministre des Affaires Etrangères du Sénégal) qui est aussi le principal organisateur du Forum de Dakar. Ce sont tous des acteurs majeurs dans la lutte pour la survie d’une Afrique libérale et laïque qui est en train de se jouer sur le vaste échiquier du continent.