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mozakrim– Après 54 ans d’indépendance, et un départ diplomatique en trombe des sommets internationaux, la politique étrangère mauritanienne se noie aujourd’hui dans des limbes d’actions court-termistes et idéologiques, qui plombent ses intérêts naturels même. Panorama et rétrospective sur un secteur de l’état sinistré.

La diplomatie c’est «l’action multiforme, systématique et méthodique qui permet de mettre en œuvre la politique extérieure d’une nation. Cette politique en soi est un aspect de la conception que cette nation a d’elle-même, et de la place qu’elle ambitionne d’occuper parmi les nations.» rappelle Mohamed Lemine Ould El Ketab, ancien ambassadeur, aujourd’hui tout occupé à sa nouvelle carrière de libraire.

Il s’agit donc d’un moyen d’action ayant pour finalité ultime de servir la nation et ses intérêts. «Et ce moyen d’action doit être décidé par rapport à une analyse approfondie, stratégique et multidimensionnelle des intérêts économiques, moraux, politiques, sociaux, géopolitiques d’un pays.» explique-t-il.

Or, «Vous ne retrouvez aucun de ces éléments dans la «stratégie diplomatique» mauritanienne depuis trente ans. Car en réalité il n’y en a pas; on avance à vue.» continue-t-il.

«La diplomatie aujourd’hui ne suit pas de ligne réfléchie, clairement déterminée. Aujourd’hui par exemple, on cherche en priorité à rassurer les bailleurs de fonds. Quitte parfois à s’emmêler les pinceaux. Ou à aller à l’encontre de cet intérêt premier.» affirme parallèlement Ely Ould Allaf, ancien ministre sous Mokhtar Ould Daddah, et ancien ambassadeur durant une vingtaine d’années.

Ce constat est partagé par d’autres anciens fonctionnaires de la diplomatie mauritanienne. « Les militaires ont amené avec eux une époque d’extravagance c’est vrai. Depuis leur arrivée, ils ont voulu briser cet ancrage de la Mauritanie dans les deux mondes. Ils ont voulu cloisonner ce pays à une unique entité arabe.» soutient un ancien haut-fonctionnaire au ministère des affaires étrangères, qui a requis l’anonymat.

« C’étaient des régimes sans vision. Surtout celui de Maouiya, qui a voulu rompre avec l’ancrage naturel de la Mauritanie dans l’Afrique noire; d’où sa sortie de l’Union Africaine.

 C’est directement ce métissage non-assumé qui a mené la Mauritanie à cette longue période diplomatique du «ni-ni»; ni du monde noir, ni du monde arabe, et presque sortie du traité de l’Afrique-Caraïbes- Pacifique (ACP) à un moment des années 90  » continue ce haut fonctionnaire.

 «Du temps de Mokhtar Ould Daddah nous étions un pays arabe, en même temps sahélien, un pays non-aligné; on combattait pour le mouvement de libération en Afrique du Sud, en Palestine, en Guinée-Bissau… Notre politique tenait compte de notre philosophie affichée que tout peuple décidait de son sort. Ce fut la seule période où ce pays a eu une vraie vision géopolitique.» explique Ould El Ketab.

Le complexe arabe

Cette période de «vision géopolitique» saluée à l’époque par l’Afrique et le monde a laissé la place à une politique basée essentiellement sur les intérêts personnels, et surtout sur une idéologie qui a poussé sur les terreaux baasistes et nasséristes dans les années 80.

«Les militaires ont depuis longtemps été sous influence nassériste et/ou baasiste, bien que ces deux mouvements aient été vidés de leur idéologie de départ, en Mauritanie en tout cas. Comprenez que le nassérisme n’est pas un mouvement exclusivement arabe, ni raciste.

Nasser avait pour vision un tiers-monde fort. Contrairement au baasisme qui est replié sur l’identité arabe, influencé par le socialisme. Maouiya à un moment s’en est réclamé, galvanisé par le sommet sur la sécurité arabe en 1990, organisé par Saddam Hussein à Damas. C’est dans l’esprit de ce mouvement que Saddam visait la reconstitution de l’empire des Abbassides» narre Ould Allaf.

Cela a contribué à l’isolement de la Mauritanie sur la scène internationale. La fin de cet isolement sera marquée par la reconnaissance d’Israël par Maouiya, à un moment où la Mauritanie «étouffait littéralement». «Cette reconnaissance ne s’est faite que pour avoir accès aux fonds du FMI et de la Banque Mondiale» selon un diplomate mauritanien de Nouakchott qui a requis l’anonymat.

Mais pas uniquement. « Maouiya avait reconnu Israël aussi pour une importante raison de protection. Ça n’allait pas avec la France à cette époque, alors pour plaire aux USA, il a reconnu Israël. Tout simplement.» dit Ould Allaf.

Il ne s’agirait même pas de cela, ou en tout cas pas directement. «Les gens qui ont notre destin entre les mains sont des petits soldats avec une vision inexistante du passé qui peut servir de ressort pour l’avenir.

Ce n’est pas un problème idéologique.» estime Mohamed Lemine Ould El Ketab. Comment expliquer sinon, selon lui, que les autorités actuelles aient soutenu officiellement un long moment des régimes massacrant leurs propres populations, comme en Syrie, ou au Yémen?

«Le Moyen-Orient est assurément la zone du monde la plus complexe. Et les mauritaniens en réalité ne comprennent rien à ce qui s’y passe. On devrait être moins naïf, plus prudent quand on s’y aventure» acquiesce Ould Allaf.

A quand un trait-d’union à nouveau ?

Selon Ely Ould Allaf, les intérêts mauritaniens sont d’abord et avant tout en Afrique noire: «La diaspora mauritanienne est composée d’un demi-million de personnes. Un peu moins des ¾ d’entre eux se trouvent en Afrique noire.

Il est évident qu’une grande partie de nos intérêts et ceux de nos concitoyens se trouvent dans cette partie du monde, de Saint-Louis au Cap. Et c’est un atout qui impose au gouvernement présent, et à ceux à venir, de bonnes relations avec tous ces pays qui accueillent bien nos compatriotes.» explique-t-il.

L’âge d’or de la diplomatie mauritanienne?

 

Un défaut de vision et d’intelligence du long terme que n’aurait pas connu la génération des diplomatiques, d’après indépendance. «Un pragmatique, un travailleur acharné et un homme courtois».

C’est le portrait succinct que dresse un ancien haut fonctionnaire de l’administration mauritanienne, de Hamdi Ould Mouknass, qui a eu à le côtoyer plusieurs fois dans les années 70 lorsqu’il était ministre des affaires étrangères du gouvernement de Moktar Ould Daddah. Le symbole selon beaucoup de la qualité des ressources humaines dans le corps diplomatique mauritanien de l’époque.

« Comme la plupart des diplomates de son époque, il a mûri avec un réalisme politique qui refusait de se bercer d’illusions sur les réalités de l’ordre international sans verser dans un machiavélisme de bas étage.» continue-t-il.

Des professionnels cultivés et raffinés. Des gens conscients de la place géographique stratégique qu’occupe la Mauritanie, et qui ont su en tirer profit pour le rayonnement du pays, et même du continent.

Qui ne se souvient pas de l’unique conseil de sécurité de l’ONU présenté hors de New-York, à Addis-Abeba, grâce aux tractations de Mokhtar Ould Daddah? Ou, à cause de l’outrage fait à son prédécesseur zambien à la tête de l’organisation de l’union africaine (OUA) par le président américain Nixon, le refus par le même Mokhtar, en 1972, de diner à la maison-blanche lors d’une soirée organisée en honneur de l’OUA, en signe de protestation et de solidarité à son homologue zambien, et pour l’honneur de son homologue, mais aussi de l’Afrique.

« Des étapes importantes, des jalons de ce qui aurait pu aider à construire une diplomatie mauritanienne respectée dans le monde entier aujourd’hui, mais cet héritage a été dilapidé.» soutient un ancien ambassadeur, membre du club des diplomates de Nouakchott.

«La voix de la Mauritanie ne compte plus, ni dans le monde, ni dans la sous-région; c’est un faire-valoir pour certains régimes désespérés, comme la Syrie il y a trois ans qui cherchaient désespérément des ancres pour sa position» dit-il. Cette dilapidation serait le fait des militaires selon tous ces diplomates rencontrés.

Une diplomatie «clochardisée»

«Quand les militaires sont arrivés, ils ont trouvé des fonctionnaires peu malléables, qui avaient une haute estime d’eux-mêmes et de leurs missions. Ils ont été remplacés par des gens obéissants, soumis, et peu aptes techniquement. Mais la qualité des personnes est là, c’est juste qu’ils ne sont pas sélectionnés» argumente Ely Ould Allaf

Saleck Ould Mahmoud, député Tawassoul et rapporteur du budget à l’assemblée nationale va un plus loin et estime que «la dégradation de cette diplomatie est due à une gabegie indescriptible et un clientélisme hors-norme dans ce domaine.

Aux oubliettes l’intérêt supérieur de la nation. L’immense majorité des diplomates actuels sont ceux qui ont échoué dans leur carrière administrative et qui, faisant partie de l’ancien régime, sont éloignés du pays par cette voie. La lutte contre la gabegie est ainsi contournée, vue qu’elle concerne essentiellement des proches des autorités».

C’est ce qu’évoque aussi le député Boudahiya Ould Sbaï de l’APP, lorsqu’il pense que «le succès de la diplomatie mauritanienne remonte à feu Hamdi Ould Mouknass, ministre des Affaires étrangères sous le régime de feu Moktar Ould Dadah».

«Il y a aussi la complaisance des grandes familles notables qui ont l’oreille du chef de l’état. Tous leurs fils ont la part du lion de tous les premiers postes diplomatiques (premier conseiller surtout) dans nos chancelleries.» évoque le député de Tawassoul.

Des planques à sous donc. Un diplomate étranger à Nouakchott, relève comme exemple, le problème des visas mauritaniens délivrés sans timbres à Paris. «Ceci est un indice probant de l’argent détourné dans nos ambassades laissées à la merci financière de «fils de» ou «proches de»» martèle le député de Tawassoul.

La diplomatie mauritanienne est donc perçue aujourd’hui comme un refuge clientéliste et d’incompétences notoires, où ses cadres ne se soucieraient plus que «du commerce des lunettes, des chaussures et des devises, que de l’image du pays» ironise Ould Sbai.

«Des ambassadeurs en France dans les années 1990 qui parlaient à peine français, et qui ne savaient rien de la géopolitique; des ambassadrices de la même trempe. Une politique étrangère, il y a à peine quatre ans, décidée à Tripoli ou en Iran; ou conditionnée par les intérêts de quelques-uns» s’enflamme un ancien diplomate retraité.

Et la Présidence qui impulse en général cette politique étrangère, qui fixe les grands axes ne se fait pas remarquer, positivement en tout cas.

Un problème de compétences aussi

«Nous n’avons pas d’envergures intellectuelles à la tête de l’État; et là est le drame. Un gouvernement, un individu ne peut pas gérer une stratégie globale d’un pays, surtout concernant la diplomatie! Il faut comme partout créer des instituts d’études, de prospectives qui réfléchissent à tout cela; mais on n’a même pas la conscience de l’importance de cela» explique Mohamed Lemine Ould El Ketab, ancien ambassadeur.

Les décideurs auraient donc besoin absolument d’indicateurs qui leur balisent le chemin, qui les guident dans une réflexion qui dépasse le quotidien, dans un cadre de projet de société; et cela devrait déterminer les politiques à adopter. «Mais nous on navigue à vue» se désole un membre du club des diplomates mauritaniens.

Contrairement à la plupart des pays maghrébins et africains, comme le rappelle un attaché économique d’une ambassade maghrébine à Nouakchott : «La Tunisie, l’Algérie, le Maroc ont des institutions qui réfléchissent à des problématiques données (problème d’eau, énergie, immigration etc…) et livrent leurs réflexions autorités qui peuvent esquisser une stratégie d’action par rapport aux prospectives et études des compétences spécialisées».

Cette décadence de la diplomatie mauritanienne serait notable depuis que «les militaires ont pris le pouvoir. Car leur plus grande faiblesse et incurie est qu’ils n’ont pas conscience de leurs faiblesses.

Et cela c’est très grave, car on ne gère pas un pays sans un minimum de stratégie, de prospective, en suggérant simplement que les comités inter-ministériels régleraient tous les problèmes. Mais un comité de zéros égale toujours zéro. C’est la théorie de Saad Zagroub » résume Mohamed Lemine Ould El Ketab.

Mais selon Ould Allaf, on ne pourrait pas comparer la période des militaires avec celle de Mokhtar Ould Daddah. Le problème ne serait pas à son sens lié au seul problème d’intellect. «Les militaires sont arrivés en temps de crise, avec les fronts du Polisario, du Maroc, avec l’Algérie. Ils étaient dans un contexte guerrier, naturel pour eux. Ils n’ont jamais eu ce sentiment sacerdotal qu’ont pu avoir leurs prédécesseurs qui dirigeaient le pays.» estime-t-il.

Mozaïkrim