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Wade1«Abdoulaye Wade ne va pas chercher l’apaisement. Ça risque de bouger ces prochains jours», estime Antoine Diouf, directeur de la rédaction de la radio sénégalaise RFM, dans un entretien avec Le Courrier du Sahara, deux jours après le tonitruant retour au pays de l’ex chef de l’Etat.

Interview – Accueilli par des milliers de sympathisants en liesse lors de son arrivée à Dakar dans la nuit du vendredi 18 au samedi 19 avril, Abdoulaye Wade s’est offert un premier bain de foule. Depuis, toutes ses sorties publiques sont soigneusement étudiées.

Des propos acerbes contre son successeur Macky Sall, accusé d’avoir déclaré «la chasse aux sorcières», et une ferveur apparente lors de ses moindres déplacements. Pas de doute, après deux années d’exil en France, l’ex chef de l’Etat a entamé un bras de fer avec les autorités sénégalaises.

«Abdoulaye Wade n’a pas le droit de jouer avec la ligne rouge (…) Nous avons parfaitement décrypté son message (…) S’il n’arrête pas, l’Etat sera là pour l’arrêter dans tous les sens du terme», a d’ores et déjà prévenu Abou Abdel Thiam, le porte-parole du président Macky Sall, sur les ondes de la radio RFM.

Pour le Courrier du Sahara, le directeur de la rédaction de la célèbre radio sénégalaise, Antoine Diouf, évoque les enjeux derrière ce retour au pays très médiatisé, à commencer par les poursuites judiciaires pour «enrichissement illicite» à l’encontre du fils, Karim, dont le jugement est annoncé d’ici la fin juin. Abdoulaye Wade espère-t-il négocier un accord avec le pouvoir? La question est sur toutes les lèvres à Dakar.

Monsieur Diouf, pensez-vous qu’Abdoulaye Wade est revenu au pays pour entamer des négociations secrètes sur le sort de son fils, Karim?

C’est tout à fait possible. Surtout si l’on observe les rencontres qui ont déjà eu lieu entre le président Macky Sall et l’ex porte-parole d’Abdoulaye Wade, Sérigne Mbaké Ndiaye. Ou entre Youssou Ndour, ministre conseiller du président Sall, et Abdoulaye Wade lui-même. On pourrait en déduire que quelque chose est en train de se tramer. À quoi cela va-t-il aboutir? Je ne sais pas. Mais, si ces négociations secrètes se confirment, ce ne serait pas une première.

Souvenez-vous de l’affaire des chantiers de Thiès, qui a conduit l’ancien premier ministre, Idrissa Seck, en prison. Des négociations ont eu lieu en coulisses. (ndlr: l’ancien Premier ministre sénégalais était accusé du détournement de 40 milliards de francs CFA destinés à la région de Thiès, à 70 km à l’est de Dakar. Un non lieu a finalement été prononcé). Cela pourrait se reproduire aujourd’hui.

Il ne faut jamais dire jamais, d’autant que des proches du président Sall parlent désormais de médiation pénale. Autrement dit: rendez l’argent et vous serez libres.

Abdoulaye Wade a dit que la «bataille» entre son fils et le pouvoir de Macky Sall ne sera pas remportée devant les tribunaux mais devant l’opinion nationale. Dans quel camp se situe l’opinion sénégalaise, selon vous?

Certains Sénégalais disent que l’affaire Karim Wade est politique. D’autres pensent que Karim, lorsqu’il était en charge de certains ministères, a fait des choses. L’opinion est très divisée sur cette question. Il nous est impossible, en tant qu’observateur, de dire que cette opinion est favorable à tel ou tel camp. Mais ce qui est certain, c’est que les Sénégalais veulent savoir la vérité. Nous sommes passés d’une accusation portant sur 694 milliards de francs CFA à 117 milliards de francs CFA désormais. La différence est énorme! Cela contribue à semer le doute. Beaucoup de Sénégalais ne comprennent pas pourquoi on est passé de la première somme à la seconde.

Karim Wade pourra-t-il être libéré avant l’élection présidentielle de 2017 ?

Du point de vue de la justice, le dossier Karim Wade suit son cours. La justice est déterminée à faire la lumière sur toutes les accusations contre Karim. Du point de vue politique, on ne sait pas ce qui se trame entre Wade père et le président Macky Sall. Mais, sauf surprise et au vu de la gravités des accusations, j’ose croire que Karim ne sortira pas de prison avant les prochaines élections locales et même avant le scrutin présidentiel de 2017. Karim lui-même a accusé Macky Sall de vouloir l’empêcher d’être candidat à l’élection présidentielle. Dans sa tête, il est clair qu’il ne sortira pas de prison avant cette échéance.

Les voix des religieux qui demandent la libération de Karim seront-elles en mesure d’influencer le processus judiciaire, selon vous?

Je ne pense pas que la justice va donner suite à ces demandes, comme celle exprimée par le porte-parole de la famille Sy de Tivaouane (ndlr: cité religieuse des Tidianes), à savoir la libération de Karim pour que le pays soit stable. La demande a été exprimée il y a près de deux mois. Depuis, nous avons constaté une accélération de la procédure dans ce dossier. Il serait étonnant que la justice prenne le risque de se discréditer en libérant Karim parce qu’un chef religieux a parlé! L’époque où les consignes des leaders religieux étaient suivies d’effets est révolue au Sénégal.

Abdoulaye Wade cherche-t-il à déstabiliser le pays en revenant au Sénégal ?

Oui et non. Si l’on regarde tout ce tumulte autour de son arrivée, on peut en effet estimer qu’il n’est pas revenu pour apporter le calme. Il a même déclaré vouloir libérer les Sénégalais de la situation difficile dans laquelle ils vivent. Cela signifie qu’il ne va pas chercher l’apaisement. Ça risque de bouger ces prochains jours. C’est ma conviction profonde. Mais Abdoulaye Wade a-t-il les moyens d’arriver à ses fins face à un pouvoir qui n’est pas dupe? Il pourra convoquer ses militants et organiser un certain nombre d’activités. Mais à mon avis, il n’ira pas jusqu’à déstabiliser le pays.

En cas de dérapage, Abdoulaye Wade risque-t-il la prison, selon vous ?

Abdoulaye Wade n’ira pas jusqu’à faire de la prison. Je ne le pense pas, vu son âge et notre culture. Cela mettrait le pays dans une situation extrêmement délicate. On n’ira pas jusque là, à mon avis. Il y a des régulateurs sociaux. Le Khalife général des Mourides et d’autres chefs religieux sont là pour apaiser la situation (ndlr: le Mouridisme et le Tidianisme sont les deux plus grandes confréries religieuses au Sénégal).

Le Courrier du Sahara