Que l’Ordre d’Allah le Très-Haut soit appliqué sur la terre musulmane, nul n’en disconvient car Ses lois sont justes et universelles. Que le fait d’aimer le Prophète Mohamed (PSL) par dessus tout soit une condition d’accomplissement de la foi, nul ne l’ignore. Que nous soyons rompus aux décisions d’Allah constitue un autre fondement de notre croyance, là encore nul le récuse.
Cependant, la contestation apparaît dès que l’on enjoint aux fidèles de sacraliser des textes et des jugements édictés par les hommes. N’a-t-on pas hérité ces vers d’un grand érudit : « Ce qu’Allah et son Prophète ont ordonné, nous y soumettons les yeux fermés.
Quant à un ordre émanant d’un homme, nous sommes des hommes comme eux. » A l’heure actuelle, la question qui se pose dans les sociétés musulmanes, en l’occurrence la nôtre, est la suivante : qui applique l’Ordre (la chari’a) et sur qui est-il jusqu’ici appliqué ? Lorsque le Califat sera établi, et que les fidèles reconnaitront un homme comme leur guide, il dirigera selon les règles de la chari’a. Autoproclamé Calife, Abu Bakr Al Baghdadi n’a de légitimité qu’aux yeux de sa bande de criminels, au sein de DAESH.
Dans notre cas, dire que la constitution s’inspire de la chari’a est insuffisant, puisque dans la plupart des cas, elle est également fondée sur des lois héritées de colonisateurs mécréants. Dans plusieurs pays musulmans, la prétendue application de la chari’a est ainsi disproportionnée et discriminatoire.
Dans notre pays par exemple, lorsqu’elle fut établie sous Haidallah, seuls les noirs subissaient les châtiments corporels. Et elle s’interrompit le jour où elle devait être appliquée sur une femme issue d’une grande tribu. N’est-ce pas là une chari’a à deux vitesses ? Le Prophète Mohamed (PSL) n’a-t-il pas dit : « Par celui qui tient l’âme de Mohamed dans sa main ! Si c’est Fatima la fille de Mohamed qui volait, je lui couperai la main ».
Et sans entrer dans le domaine des jurisconsultes, l’application de la chari’a n’est-elle pas conditionnée par l’existence d’une justice sociale minimale? Ne dit-on pas selon la chari’a que la solution prime sur la contrainte ? Cela n’implique-t-il pas une certaine prédisposition morale de la part des dirigeants ?
Par ailleurs, lorsque la Oumma fut guidée par des dirigeants justes, rares sont les sentences qui furent appliquées sur un fidèle. Chacun recevait son dû et s’acquittait de son devoir. Qu’on nous dise le nombre de fois où le Prophète (PSL) coupa des têtes à Médine ou à la Mecque ? Il ne manquait pourtant pas d’ennemis.
Allah le Très-Haut n’a-t-il pas dit : « C’est pourquoi nous avons écrit cette loi pour les enfants d’Israël : celui qui aura tué un homme sans que celui-ci ait tué un homme ou semé le désordre dans le pays, sera regardé comme le meurtrier du genre humain ; et celui qui aura rendu la vie à un homme sera regardé comme s’il avait rendu la vie à tout le genre humain » (Coran 5:35).
Effectivement, c’est ce principe fondamental qui administre la chari’a islamique : la vie avant la mort. Le prophète Mohamed (PSL) a été envoyé par « miséricorde pour l’Humanité » (Coran 21 :107). Sous le Califat de Omar Ibn al-Khattâb (RA), lorsque les gouverneurs partaient sur leurs lieux d’affectation, il les accompagnait et disait : « Je ne vous ai pas donné l’autorité pour tuer les musulmans, ni pour les frapper, ni pour les déshonorer, ni pour prendre leurs biens.
Mais je vous ai envoyés pour que vous dirigiez leur prière, pour que partagiez entre leur butin et pour que vous jugiez entre eux par la vérité », rapporté par Asim Ibn Abou Noujoud (La vie des compagnons, page 56, tome 2).
Où sont ceux qui veulent renifler le sang du jeune forgeron ? A ceux-là, nous rappelons que le sang des officiers, soldats et citoyens noirs a coulé dans les rues de Nouakchott et les casernes du pays. Y a-t-il plus grande transgression que de violer la sacralité de la vie humaine en Islam? Pire encore, que dire de l’effusion de sang des musulmans en plein mois de Ramadan ? Ose-t-on accuser le jeune forgeron d’apostasie? La notion d’apostasie a été longuement débattue par les jurisconsultes.
Là encore, nombreux sont les érudits qui ont mis en avant le primat de la repentance sur l’application ipso facto de la sentence, notamment de la peine de mort. Analyser le cas du forgeron Mohamed Cheikh Ould Mkheitir, accusé sur la base d’interprétations fallacieuses suite à la vindicte populaire, requiert prudence et impartialité.
Malgré son innocence, ce dernier a présenté des excuses, dans un texte éloquent et précis, aux personnes ayant mal compris son propos. Espérons seulement que le procès en appel le blanchira de ces accusations. L’acharnement contre cet individu sans défense en dit long sur la décadence progressive des sociétés musulmanes.
Aujourd’hui, des courants littéralistes se sont emparés des sphères politiques et se permettent d’y imposer leurs visions sectaires. Ils se sont accaparés le monopole de l’ijtihad, et seuls comptent les avis de leurs savants. Pour eux la pensée musulmane doit être unique.
Or, Dieu le Très-Haut, que Son Nom soit exalté, n’a pas fait de nous des serviteurs automates. Non, notre Seigneur a dit : « Dis : Ceux qui savent et ceux qui ignorent seront-ils traités de la même manière? Que les hommes doués de sens réfléchissent » (39:12).
De la même façon que les hommes sont égaux devant Dieu par leur piété, la compréhension du texte religieux ne doit ni appartenir à un chérif ni à un descendant de Cheikh Omar. L’interprétation d’un Zewaya, d’un Torodo ou d’un Moodi n’a de crédit que lorsqu’elle correspond à la vérité universelle.
Puisque devant Dieu seule l’adoration rend digne. En réalité, nous subissons ce qu’ont traversé les religions en Occident, à savoir l’imposition d’une pensée unique et le maintien des fidèles dans l’ignorance de tous les préceptes. Au lieu d’éclairer, leur logique consiste à diriger, définir et trancher.
De ces agissements obscurantistes, découlera inévitablement l’abandon de la morale religieuse. Nous avons déjà fait un long chemin vers la décadence, à présent la chute vers les tréfonds s’accélère. Recrudescence de l’arbitraire, occultation de la misère, vols des deniers publics, viols en série de mineurs : qu’avons-nous conservé des enseignements du Prophète Mohamed (PSL) ? Le défendre, c’est d’abord se comporter selon ses recommandations.
Pour ce faire, le Président de la République se doit de montrer l’exemple. Hélas, comme l’exprime avec sagesse l’imam Al Ghazali : « La destruction d’une nation commence par l’incapacité du chef et l’instauration de l’oppression ».
Pourtant, si le peuple mauritanien, ses érudits et ses illettrés, ses dirigeants, ses notables et ses stigmatisés, avait récusé les réalités issues des nos traditions rétrogrades, nous n’en serions pas arrivés au sacrifice d’une vie humaine à l’autel de la complaisance religieuse.
La vérité est que le maintien de la stratification sociale et le système des castes constitue pour certains un moyen d’accès aux cercles du pouvoir. Les individus prétendument issus des cercles maraboutiques convoiteront toujours les postes de mouftis de l’Etat et se sentiront visés par toute remise en question du l’ordre établi.
D’autres feront prévaloir leur patronyme et leur région pour courtiser les dirigeants et les convaincre de leur prétentieuse noblesse. Incapables de s’adapter aux mutations sociales, leur seul recours sera de convoquer les anciens systèmes féodaux.
Morts ou vifs, des jeunes comme Ould Mkheitir déconstruiront cet ordre social anti-islamique. Tuez Ould Mkheitir, un autre naîtra. S’il faut couper la tête de Ould Mkheitir au nom d’une religiosité galvaudée, alors n’épargnez pas les auteurs des crimes de sang dans les camps militaires. Et s’il faut l’épargner au nom de l’Islam authentique, vous serez honorés auprès d’Allah (SWT) et de son Prophète (PSL) pour avoir sauvé un homme qui témoigne de l’unicité divine.
Bâ Sileye
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