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HistoireMrBouleversements des hiérarchie politiques et statutaires.

Adrar-Info – Les effets de la crise des Trârza sur la politique française. Les Français eux-mêmes n’étaient pas immunisés contre les problèmes que subissaient Sidi Mbayrika et les Trârza. Au milieu des années 1860, le Commandant de Dagana subit une pression croissante pour empêcher les villageois sous son contrôle d’immigrer sur la rive droite.

Du Waalo central jusqu’à Dimar, les villages le long de la rive gauche du Fleuve rassemblaient des milliers de personnes qui avaient été forcées de quitter leurs maisons et leurs champs de la rive droite pendant la guerre de conquête coloniale.

Nombre d’entre eux n’acceptait pas cette perte. En 1866, Martin écrivit que deux d’entre eux, actuellement résidents à Ntiago, avaient demandé la permission de retourner sur la rive droite.

Si une telle requête était acceptée, il avertissait que le village serait bien tôt considérablement dépeuplé et que ceci encouragerait alors les autres :

« Vous recevrez alors de la part des Noirs de nombreuses requêtes pour qu’ils s’installent sur la rive des Maures, chassés par la guerre. La population de Gaé, dont le chef porte encore le titre de Serign [érudit musulman] de Cayor et bien d’autres des villages du Dimar, regrettent la perte de leurs champs qui furent forcés à abandonner chez les Maures.( 16)»

Ces difficultés étaient en partie la conséquence des politiques impopulaires que les autorités françaises poursuivaient au sein de leurs nouveaux territoires. Le pire était l’impôt, les taxes sur les récoltes, qui suscitaient le mécontentement dans les années 1860. Les résultats de la récolte de ces taxes étaient mitigés. Dans le Waalo central, Samba Dien obtint des bons succès dans la récolte de cet impôt.

La situation était plus difficile dans les villages situés à l’Est de Dagana et à Dimar, là où l’autorité française était incertaine, la dépopulation et une résistance diffuse les conduisit à abandonner l’impôt pour un certain temps. L’année 1866 semble avoir été particulièrement troublée. En Janvier, Martin rapporta qu’il avait des grandes difficultés à récolter l’impôt annuel. Alors que le canton de Samba Dien avait fourni la plupart des taxes, nombreux villages du Waalo, devaient maintenant payer, comme d’ailleurs la plus grande partie de Dimar.

Seydou Moumou, le chef de Pendao, refusa de payer et se réinstalla à Tiékan, sur la « rive des Maures (17)». Un mois plus tard, le Commandant reçut une lettre de l’Elimane de Dimar [chef traditionnel de la province de Dimar], le Lam Tooro [chef traditionnel de la province du Tooro], ainsi que de plusieurs villages de Dimar et de Tooro, notamment Fanaye, l’un des rares qui avaient payé. Affirmant parler « au nom de tous les gens du Tooro » ils avertissaient les Français « d’arrêter de leur prendre leurs moyens de subsistance par la collecte de leurs récoltes », les menaçant sinon de partir pour Nioro (18)».

L’immigration : un défi à l’autorité coloniale

Les autorités françaises reconnurent que l’immigration ou sa menace était un acte de défiance contre leur autorité. En Mai, Martin insista pour dire : « les terrains agricoles ne sont pas pauvres sur notre rive, c’est plutôt la main-d’oeuvre qui l’est. Sans aucun doute, la majeure partie des immigrants consiste en des mécontents et des récalcitrants comme Seydou Moumou. (19)» Comme Martin l’a prédit, l’acte de défiance était à présent effectif car il comportait une véritable menace économique.

La main d’oeuvre était clairsemée partout dans la vallée. Les champs avaient été laissés inexploités par les ravages de la guerre, de la famine, ou, ainsi que le disait la lettre de Elimane, par l’exode vers le territoire umarian à l’Est(20). Le manque de population et de main d’oeuvre sapait les dessins français dans leurs nouveaux territoires.

En Septembre, Martin rapporta que l’immigration de Gaé était devenue une menace sérieuse. Un ancien chef du village, Mabok, avait fait défection pour la rive droite. Il pressait les autres de le rejoindre pour ressusciter le vieux village de Kheoul dans le marigot de Sokam, abandonné depuis 1856. Jusqu’à présent, dix ou quinze villageois avaient suivi Mabok. Tous avaient des arriérés d’impôt. Le chef actuel avertissait Martin que la majorité de la population pouvait disparaître si des mesures n’étaient pas prises pour les en empêcher( 21).

La main-d’oeuvre était encore plus faible sur la rive droite, là où les élites Trârza accueillaient avec enthousiasme les immigrants. Martin apprit de Samba Dien que Sidi Mbayrika avait donné à Mabok un cadeau de 19 chèvres pour l’encourager dans son installation à Kheoul (22).

Quelques années plus tard, le chef des Awlâd Ahmad minDaman qui contrôlaient les terres agricoles de l’autre côté de Dagana, wuld ‘Amar A‘li, fit savoir qu’il accueillerait les villageois qui souhaitaient cultiver la terre de ce côté du fleuve( 23). La situation était suffisamment grave pour que les officiers Français et les guerriers Trârza prennent des mesures énergiques pour attirer ou pour conserver les villageois.

À la fin Octobre de la même année, Martin arrêta Mabok, qui avait imprudemment rendu visite à Dagana, et le déporta à Saint-Louis pour y être jugé sous la double accusation de s’être installé sur la rive droite, en contradiction avec l’interdiction gouvernementale, et pour avoir « provoqué la désertion d’une partie des habitants de Gaé (24)».

En représailles à l’arrestation de leur chef, les nouveaux habitants de Kheoul commencèrent à attaquer leurs anciens voisins, les villageois de Gaé, lorsque ces derniers osaient traverser le Fleuve.Ils furent aidés en cela par deux groupes des ahl al-gibla, les Zambutti et les Awlâd ‘Ayid, qui agissaient avec la bénédiction de Sidi Ahmad wuld Mhammad Shayn et d’un autre chef Trârza, Sidi wuld Ibrahim Khalil.

En Décembre, Martin rapporta que la population de Gaé ne pouvait plus apparaître sur la rive droite du Fleuve pour pêcher ou pour cueillir, sans être « dépouillée du produit de leur travail et parfois même de leurs vêtements », alors que les villageois de Dagana et de Mbilor commençaient à craindre un traitement similaire. Dans le même rapport, Martin mentionne que les habitants de Ntiago, un village avec un fort pourcentage d’anciens « Gannâr » [en wolof, habitants de la gibla] avaient pensé à revenir vers leurs anciens champs dans la gibla, le long du marigot Garak( 25).

En 1868, le Gouverneur émit des ordres stricts pour l’arrestation de tous les villageois qui s’étaient installés dans la rive droite sans autorisation. Aliou Kane, fils du chef renégat du Pendao, Seydou Moumou, en fit l’expérience lorsqu’il visita Dagana en Mars, répétant l’erreur de Mabok une année et demie plutôt. Martin le fit arrêter et transférer à Saint-Louis sous l’accusation que lui même et son père voyageaient souvent à Dimar, espérant convaincre les villageois de Pendao et de Dialmath de les rejoindre dans leur installation à Tiékan (26).

Cette arrestation embarrassa Sidi Mbayrika, qui dit à l’interprète du Commandant qu’il la considérait : « comme une marque de mépris. » L’interprète expliqua que le Gouverneur n’avait rien fait d’autre que « d’exercer son droit en punissant l’un de ses sujets qui l’avait désobéit et défiait ouvertement son autorité. (27)»

A suivre…/

Mariella villasante

 

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