la question est souvent posée ici ou là. Qu’en est-il au fond ? En dépit de l’Ordonnance No-81 234, du 9 novembre 1981, du comité Militaire de Salut National “abolissant l’esclavage sous toutes ses formes” et du vote d’une loi le 8 août 2007 à l’Assemblée nationale, criminalisant l’esclavage, ce sujet brûlant domine toujours la scène médiatique mauritanienne.
E n effet l’esclavage ou ses séquelles sont encore vivaces dans le pays et tout le monde s’accorde à dire que la lutte pour son éradication complète est un devoir pour tous. Toutefois là ou le bât blesse, c’est que les associations et autres ONG des droits de l’homme ne stigmatisent que la communauté arabe alors que ce phénomène s’observe chez les populations négro-africaines de Mauritanie. Chez les soninkés et les pulaar, les esclaves sont nombreux sans que l’on puisse avancer des chiffres faute de statistiques. Toutefois, selon que l’on soit en milieu soninké ou pulaar les pratiques diffèrent et les conditions aussi de celles des abid (esclaves arabes). Dans un essai sur l’esclavage en auritanie, feu professeur Seydou Kane note que « Chez les Soninké du Guidimakha, l’esclavage est intégré dans le système des castes, et les sous-catégories d’esclaves étaient nombreuses jusqu’à ces dernières années ».
Ainsi selon ce professeur les Komo (esclaves) se subdivisent en Sardo (captifs acquis par héritage de père en fils) et Nanouma (captifs acquis par achat). Pour ce qui est des Hal-pulaaren et des Wolof, le professeur Seydou Kane souligne que la nomenclature est moins poussée. Ainsi on distingue :MaccuBé en pulaar, esclaves ; Jaam, en wolof. Or, selon le professeur Kane : « les Jaam Juddu, esclaves de case, intimement liés à la famille, sont différents des Jaam Sayor, captifs qu’on peut vendre sur le champ et issus des guerres. Cette catégorie n’existe plus et l’esclavage est pratiquement
inexistant chez les Wolof de Mauritanie. Par contre, chez les Hal-Pulaaren, la caste des esclaves compterait plus du tiers de la population. En tout cas, c’est la majorité d’entre eux qui se trouve émigrée en Afrique, en Europe ou en Amérique ». Il y a les affranchis, nouveaux et anciens : Awgal,en pulaar; Jaambuur,en wolof.
Présent mais désuet L’on voit alors que l’esclavage est, sous toutes ses formes, présent dans toute la société nationale mauritanienne, aussi bien chez les Négro-africains que chez les Arabo-berbères, même s’il peut paraître plus brutal chez ces derniers. Dans les formations sociales négro-mauritaniennes, il y subsisterait plus sous forme de “séquelle” et est intégré dans le système des castes.
Rappelons que le tissu social des sociétés négro-africaines de Mauritanie est toujours caractérisé par une forte stratification, sous forme de castes. Si cette organisation sociale avait paru nécessaire à une époque de l’histoire encore récente de ces populations, il semble aujourd’hui qu’elle est totalement désuète. En effet, l’entrée dans l’ère moderne et ses transmutations ne peut cohabiter avec
certaines considérations avilissantes de l’homme. Il est difficile de faire admettre qu’il y aurait des hommes supérieurs (avec un ensemble de privilèges) et d’autres en bas de l’échelle, rompus à la basse besogne et
n’ayant aucun droit, sauf celui de mourir.
ONG hypocrites
Bien souvent des négro-africains de Mauritanie dénoncent les conditions d’exclusion dont il serait la victime dans le pays ou des cas flagrants de racisme en Occident, mais alors ne s’offusquent guère que leurs parents possèdent encore des esclaves au village. Ces mêmes individus trouveraient normal que la main de leur sœur ne soit pas accordée à un individu « dit de caste inférieur ». Ce sont ainsi des préjugés de castes qui paraissent anachroniques dans
des sociétés qui se veulent démocrates, justes et égalitaires pour tous. Notons que les esclaves se trouvent au bas de l’échelle du système de castes qui est encore vivace dans les milieux soninké et pulaar. Cette position est bien souvent un frein pour leur promotion sociale. Plusieurs fois des ministres soninké ont été purement virés des gouvernements
par ce qu’ils seraient mal nés (descendants d’esclaves). La dernière mésaventure ne date que d’une année. On se souvient aussi de ce ministre soninké du temps d’Ould Taya, obligé de faire des courbettes à son planton
qui en fait était « son maître ». Ne dit-on pas aussi que dans certains villages de cette même ethnie que même morts, les esclaves ne peuvent côtoyer leurs maîtres, ainsi des cimetières leurs sont réservés. Il est étonnant que des cas aussi extrêmes d’exclusion et de traitement inhumain ne soient pas suffisamment dénoncés par les ONG des droits de l’homme. C’est ainsi que selon certains mauritaniens, ces associations et ONG utiliseraient l’esclavage comme fonds
de commerce. Il serait alors plus facile et vendable de traiter d’un blanc qui a un esclave noir que d’un noir en possédant un aussi. C’est comme pour l’histoire de la traite négrière où le rôle abject de plusieurs rois et chefs coutumiers qui ont vendu leurs propres parents n’avait été suffisamment dénoncé.
Ceci pour dire qu’il est bien de dénoncer les cas avérés d’esclavages dans les milieux maures mais il faudrait galement faire de même dans les milieux négro-africains de Mauritanie. N’oublions pas comme le souligne à juste titre le professeur Kane que « dans nos sociétés, l’esclave est dans tous les cas de figure un paria “arani” (étranger). Il n’a pas de parents dans sa société d’accueil. Il y perd sa référence culturelle originelle. C’est un “perdu” ou “qui a perdu” ses racines. C’est bien le sens que lui donne l’expression pulaar de MaccuDo : “celui qui est perdu” ou ” celui qui a disparu”.
L’esclave est alors un bien, un non-être, chargé d’apporter un plus à la famille qui l’asservit. Sa fonction conomique est précise. C’est un Beydaari : celui qui fructifie ou qui croît. Il est Malal : celui qui apporte le bonheur, Malu ». L’on voit bien alors qu’aujourd’hui il est insensé de vouloir faire perdurer cette tare qui est un mal qu’il faut extirper au plus vite. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’allait le président de l’Ocvidh Diagana Mamadou Youssouf, livrant son point de vue sur l’esclavage en milieu soninké dans un entretien accordé à un site.
Toutefois combattre l’esclavage en milieu négro-africain de Mauritanie consiste à mettre fin au système de astes qui est totalement obsolète et dépassé. Que les ONG si prolixes à dénoncer l’esclavage dans le milieu arabo-berbère de Mauritanie, veuillent bien regarder également ce phénomène dans la communauté négro-africaine de Mauritanie. A moins que ce sujet ne soit pas autant porteur et qu’il ne permette pas de tisser un certains nombre de relations qui assurent publicité, consécration, voyage et argent liquide !